Le 12 mai, en voiture, j’écoutais une émission sur France Inter où l’on interviewait un nutritionniste, le docteur Zermati sur un sujet brûlant, celui du surpoids et j’en ai été saisi d’indignation. Ce médecin émet depuis des années sur un thème aussi grave que périlleux, fort heureusement à bas bruit. Mais depuis peu, on l’entend davantage en raison d’une mode qui rêverait d’un monde où chacun pourrait avoir le poids qu’il désirerait sans avoir à faire l’effort de l’obtenir.
Cette théorie de « l’abandon des régimes » est une vieille lune lancée par des psys américains et abandonnée par ses initiateurs, mais qui renaît de ses cendres à chaque fois que les journalistes ont épuisé le pouvoir communicationnel d’un régime ou d’une méthode et qu’ils attendent le suivant.
Je me souviens d’une émission animée par Yves Calvi il y a dix ans où déjà le docteur Zermati tonnait contre ceux qui, comme moi, interdisent le chocolat en période d’amaigrissement. Lors de cette émission, répondant à un auditeur obèse d’avoir abusé de sa gourmandise, je l’entendis lui dire qu’il ne devait suivre aucun régime et consommer du chocolat comme il le désirait:
« Il vous suffit d’écouter vos sensations de faim et de satiété et vous perdrez tous vos kilos ».
Ce Monsieur Zermati est toujours assez fier de lui quand il dit, en souriant, qu’il est allergique au simple mot de régime.
Le « no régime », c’est quoi au juste? C’est à peu près l’équivalent du refus des vaccins par les témoins de Jéhovah, à ceci près que le danger est bien moindre et ne concerne que leurs propres enfants. Alors qu’un abandon des régimes face à la montée en puissance du fléau de l’obésité et du diabète est lourd de conséquence. Fort heureusement, le bon sens et l’esprit cartésien restent des vertus françaises.
Tout est parti aux Etats Unis d’un concept flou, celui de la « restriction cognitive » une façon habile d’appliquer un mot scientifique sur un mot du quotidien. Cela ne signifie rien d’autre que le recours à l’intelligence consciente et aux connaissances nutritionnelles ambiantes pour remplacer la régulation instinctive et naturelle de l’animal humain totalement submergée par le mode de vie abondance. Nous lisons les étiquettes, nous nous mettons à table à des heures convenues et nous la quittons rarement quand la faim s’amenuise. Pour les tenants de l’abandon des régimes, cette prise en charge de la nature par la culture constituerait une restriction cognitive à l’origine du milliard et demi de personnes en surpoids sur la planète. Ne se priver de rien qui pourrait générer une frustration, laisser les sensations refleurir en l’homme et cela ferait disparaître le fléau.
Fort heureusement, dans l’esprit de n’importe quel humain de bon sens, il ne fait pas l’ombre d’un doute que l’on grossit de manger plus que l’on ne dépense et que pour maigrir, il convient de faire l’inverse, c’est-à-dire manger moins qu’avant et donc se restreindre pendant le temps de la perte de poids. Cela porte un nom bien connu: un régime.
Des régimes, il y en a eu un certain nombre depuis que la nutrition existe. Mais si l’on a l’œil exercé, on n’en distingue que deux groupes, l’un se fonde sur les calories, l’autre sur les catégories. Le premier affirme que toutes les calories se valent et que si vous avez grossi d’un kilo, c’est que vous avez consommé 9.000 calories de trop et que pour maigrir, vous devez en manger 9.000 de moins que ce dont vous avez besoin.
Le deuxième type est fondé sur les catégories. Dans ce cadre, pour ses tenants, les calories diffèrent en fonction de leur origine, du nutriment dont il est issu. La calorie est une unité de mesure, la quantité de chaleur qui réchauffe de 1 degré la température de 1 gramme d’eau. Ainsi considéré, il ne fait guère de doute qu’une calorie vaut n’importe quelle autre calorie comme un gramme ou un centimètre vaut le même gramme ou le même centimètre.
Mais, et c’est là que la notion de catégorie entre en jeu, cette équivalence des calories entre elles ne tient que si l’on compare ces calories « hors du corps ». Dès l’instant ou celles-ci entrent en bouche, sont digérées et assimilées, le corps les utilise de manière très différente selon qu’elles proviennent de glucides, de graisses ou de protéines. Pour exemple, si vous consommez 100 calories de sucre ou de graisse, votre corps devra dépenser 4 calories pour effectuer le travail qui consiste à les digérer et les assimiler alors que s’il s’agit de protéines, il lui en coûtera plus de 30.
Mais ce n’est pas tout, les sucres et les farineux élèvent très rapidement la glycémie. Un simple paquet de biscuits possède une charge glycémique capable d’entraîner sur l’heure un coma diabétique. Fort heureusement, votre pancréas sécrète de l’insuline chargée de chasser ces sucres hors du sang et l’essentiel est stocké dans le tissu gras de réserve. Si vous consommez trop de glucides, vous survivez grâce à votre insuline mais vous grossissez. Cette sécrétion d’insuline est pratiquement inexistante pour les lipides gras et les protéines.
Un autre point qui distingue l’origine de ces calories, les sucres sont suprêmement addictifs, un peu moins pour les graisses et pas du tout pour les protéines. Compte tenu de toutes ces différences, il faut être d’une singulière mauvaise foi pour affirmer que toutes les calories se valent. Certes, cela arrange les marchands de sucre, de farine blanche, de farineux et de chocolat qui ont les moyens financiers de faire marteler par une publicité qu’ils paient que les barres de chocolat, les pâtes à tartiner et les céréales en pétales miellées et chocolatés sont indispensable à la bonne activité de nos enfants face à leurs écrans. Tout ceci avec la complicité active, consciente ou non, de certains médecins et nutritionnistes, cela s’appelle un conflit d’intérêt.
Revenons à Monsieur Zermati. Pour lui, bien évidemment, toutes les calories se valent. Mais s’il ne disait que cela! Il dit avec aplomb qu’il n’est pas nécessaire de suivre un régime pour maigrir. Je ne sais pas s’il comprend qu’il parle à des personnes qui ont en moyenne entre 15 et 20 kilos et comment peut il ignorer que ces personnes souffrent et tentent d’oublier qu’ils mourront neuf ans avant les autres. Et quand arrive le moment de vérité où on lui demande ce qu’il propose à ces personnes obèses pour les faire maigrir de manière quasi magique, voilà en substance ce qu’il répond.
Si vous êtes en surpoids ou obèse et que vous voulez perdre votre excès de poids, concentrez-vous sur vos sensations et sur vos émotions. Dès lors, ne mangez que lorsque vous avez faim et cessez de manger lorsque vous n’avez plus faim. De plus, faites la différence entre une envie et de la faim et ne mettez en bouche que si c’est de la faim. Je vous assure que je ne rajoute rien de ce qui fait le fondement de cette théorie Nord Américaine que Zermati relaie sans esprit critique. Autant dire à un alcoolique qui aimerait en finir avec l’alcool de ne boire que s’il en éprouve le besoin.
Mais enfin, Monsieur Zermati, ne savez-vous pas que ceux qui sont devenus obèses en mangeant au-delà de leurs besoins biologiques ne l’ont pas fait parce qu’ils cherchaient à grossir ni même pour y trouver du plaisir, il l’ont fait à leur corps défendant, l’épée dans les reins pour apaiser un malaise qui leur était plus douloureux que leur prise de poids? Ne comprenez vous pas que nous vivons dans un monde où nos instincts sont totalement submergés par un environnement culturel dénaturé et si loin des conditions de virginité de l’homme premier? Que tous les grands besoins fondamentaux et instinctifs de l’homme ont perdu le droit exclusif de gouverner nos vies?
Et cela ne se limita pas à l’alimentaire, tous nos instincts sont concernés. Il en va tout autant de la sexualité humaine, de la puissance du sacré, de notre relation à la nature, de l’usage de notre corps lui-même. Il faut désormais des livres pour apprendre à manger, à cuisiner, à élever nos enfants à nous mouvoir, à notre développement personnel. Et puis si ce que les tenants de l’abandon du régime prônaient avait du sens, il suffirait de bien peu de chose pour faire cesser cette épidémie.
Ah que j’aimerais qu’ils aient raison, qu’il suffise de demander aux patients de se concentrer sur leurs sensations de faim et de satiété et de laisser faire la nature. 42 ans passés jour après jour auprès de patients en souffrance m’ont appris que le mal est bien plus profond. Il réside très exactement là ou vous voyez la solution, dans cette disparition de notre relation instinctive, dans cet étirement extrême entre notre nature et notre culture, entre l’individu et la société, entre notre vieux cerveau animal et biologique et notre néocortex qui a pris le pouvoir.
Notre faim et notre satiété témoignent d’une animalité évanouie, elles ne sont plus de taille à résister au supplice de Tantale que nous impose les « producteurs », ceux qui nous gavent jusqu’à 50 ans et qui nous soignent ensuite jusqu’à ce que mort s’en suive. Une invasion de glucides qui créent du diabète ou de l’hypertension puis des médicaments pour traiter ces affections, souvent trop tard, c’est-à-dire sans pouvoir éviter les amputations, la cécité, la dialyse, les infarctus et le cancer.
Aujourd’hui, il faut bien se rendre à l’évidence, la guerre contre le surpoids, contre l’obésité et le diabète, personne ne veut la mener et encore moins la gagner. On feint de crier au loup, au scandale d’une épidémie qui ravage mais personne parmi ceux qui ont les moyens ne bouge. Comment peut-on expliquer que depuis la fin de la dernière guerre, la pensée dominante continue de prôner en les enseignant les régimes des Basses Calories, celle-là même qui n’a pas empêché le surpoids de progresser et de plus en plus vite.
Pire, tout ce qui est proposé hors de ce dogme est discrédité avant même d’avoir pu être testé ou expérimenté. Pire encore, on encourage officiellement tout ce qui est inefficace, tout ce qui occupe le terrain pour éviter toute innovation. Et pour couronner le tout, on dissuade tout ce qui n’est pas conforme au dogme en vigueur Le Non au Régime est l’un des nombreux avatars qui occupent ainsi la scène. Pendant ce temps, des obèses souffrent, affrontent la maladie et meurent.
L’obésité, troisième cause mondiale de mortalité
J’accuse tous ceux qui participent de cette occultation de non assistance à personnes en danger. Et ce danger ne menace pas quelques individus mais plus de 500 millions d’obèses. Voilà ce que dit l’OMS: chaque minute, dans le monde, plus 5,3 personnes meurent des conséquences directes de leur obésité ou de leur surpoids, soit 850 morts par jour, c’est la 3e cause mondiale de mortalité en pays développés. D’ici 2015 environ 2,3 milliards d’adultes seraient en surpoids et plus de 700 millions, obèses. C’est inacceptable à l’échelon de l’individu qui souffre et meurt prématurément MAIS s’il s’avérait que cette inaction et cette résistance passive étaient concertées, il ne s’agirait plus de non assistance mais de mise en danger de la santé d’autrui. Nous serions à l’antipode exact de l’idéal médical.
Maigrir, quand on est obèse ou en surpoids, n’est pas facile car ceux qui en sont là l’ont fait en utilisant l’aliment pour atténuer, soit une souffrance ou un malaise momentané, soit un mal-être ou une vulnérabilité issue de l’enfance. Et pour eux, c’est d’autant plus difficile de suivre un régime qui devra interrompre l’usage de cette béquille alimentaire. Quand ils s’y lancent, c’est que leur surpoids devient intolérable ou menace gravement leur santé.
Malheureusement, lorsqu’ils passent à l’acte, ils sont rebutés par la misère des moyens proposés. Pour l’instant, les instances sanitaire s’en tiennent aux mesures officielles, politiquement correctes, qui ne menacent pas l’économie. Elles préconisent à un obèse de se nourrir de façon équilibrée avec 50 % de glucides (pain, pâtes, riz), de manger moins et de bouger plus et de ne pas oublier ses 5 fruits et légumes. Une proposition saine et vertueuse mais qui, non seulement est aux confins de la psychologie de l’obèse mais, au mieux si elle était suivie, ne ferait qu’interrompre la prise de poids mais certainement pas de maigrir.
Marchands de rêve et vendus aux lobbies agroalimentaires
Et à coté des institutionnels, il y a les marchands de rêve, « Abandonnez les régimes et venez maigrir chez Weight Watchers » avec un soutien de 20 millions d’euros pour l’année et une ambassadrice aussi belle que Amel Bent. Mais une fois en piste, il est clair qu’il s’agit d’un régime où il faut compter les calories ou les points et d’un accompagnement par réunion qui lui, a du sens.
Et puis, il y a ceux qui ont vendu leur âme et qui n’ont rien d’autre à vendre. Alors, on les voit accepter d’être soutenus par des fabricants de barres de chocolat et de venir sur des plateaux de TV en assurer la promotion. Elise Lucet, dans son émission « Cash investigation » sur France 2, avait pris le nutritionniste Arnaud Cocaul en pleine session de markéting pour Kraft, leader mondial du snacking (Orea, Milka et autres biscuits, chips et aliments industriels). Merveilleuse Elise Lucet, s’il pouvait y avoir plus de ce type de journalistes d’investigation qui portent le fer là ou le bât blesse.
Alors, pour conclure, faut-il abandonner l’idée de faire maigrir les obèses? Comme n’importe quel médecin épris de sa profession, programmé depuis la fin de son adolescence à soigner ses patients, s’alarmer du moindre signal de menace, de toute fièvre, indisposition ou infection aussi bénigne soit-elle, comment, sachant qu’une vraie solution existe, pourrais-je accepter de laisser près de sept millions de français obèses et souvent diabétiques sans soins ni assistance réelle et concrète?
Ce refus assorti d’une méthode efficace m’a valu bien des oppositions, les lobbies sont puissants et riches. A l’heure d’internet et des réseaux, il suffit de peu pour façonner l’air du temps. Néanmoins le temps qui passe rappelle aux obèses qu’ils souffrent et je sais, car j’ai suffisamment vécu pour savoir que les modes s’épuisent vite pour laisser place aux vrais besoins. Fasse le ciel que celles du non au régime ne s’attarde pas trop en France. Ceux qui la font durer doivent savoir que chaque minute, 5.3 humains meurent alors que l’on n’a jamais vu personne mourir d’un régime.